mercredi 28 mai 2008

Couleur peau

Quand j’étais floune, j’avais une amie qui s’appelait Kali. C’était la seule noire de l’école. Je me souviens très bien avoir voulu la dessiner, et me demander pourquoi c’était pas écrit "couleur peau / flesh tint" sur le crayon brun. Quoi, elle était bien brune, mon amie Kali, non ? Pourquoi le crayon pour me dessiner était "couleur peau / flesh tint" et pas le sien ? Je ne comprenais pas. Jouant récemment dans des crayons de couleur contemporains, j’ai pu constater que les enfants du 21ème siècle n’auront pas à se poser ce genre de questions. En effet, ce qui s’appelait "couleur peau" est devenu "pêche". Et ce qui se nommait "pêche" dans mon temps est devenu "orange pâle". Victoire de l’humanité ou bassesse du political correctness ? Sais pas.
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Il faudrait être aveugle et/ou mal informé pour ne pas avoir eu vent de la controverse issue d’un brûlant texte de Victor-Lévy Beaulieu. Si les prévisibles réactions outrées montrent bien à quel point VLB a le don de mettre le doigt où ça fait mal, peut-on dire sans crainte de se faire lapider qu’il y a là une vérité qu’il faudrait pouvoir nommer ? Je pense que ce que VLB essaie de nous dire, à sa spectaculaire manière, c’est que Michaëlle Jean a été l’objet de discrimination positive. Pourquoi jouer à l’autruche ? C’est pratique courante dans tous les milieux de travail, de nos jours. Non seulement pratique courante, en fait, mais pratique obligatoire dans plusieurs cas. Dans la police et la fonction publique, par exemple, il y a des quotas minimums à respecter. Ça, ça veut dire qu’à compétence égale, voire supérieure, le candidat dit "de couleur" ou "issu de minorités visibles" sera favorisé. Du racisme à l’envers, quoi.
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Je ne me considère ni raciste ni homophobe, ce qui ne m’empêche pas d’avoir peur des Chinois et d’exécrer les folles. Aimer tout l’monde, ça s’peut pas. Ne pas avoir de préjugés non plus. Encore une fois, cessons de faire semblant et de se foutre la tête dans le sable à la moindre discorde.
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Le racisme, comme l’homophobie, le sexisme ou la gérontophobie, c’est nier ses droits fondamentaux à un humain à cause d’une condition qu’il n’a pas choisi. C’est, par exemple, empêcher une femme de voter à cause de son sexe. Ou bien réserver les meilleures places d’un restaurant ou d’un autobus aux blancs. Ou encore ne pas vendre sa maison ou louer son logement à un "importé".
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Étant moi-même victime régulière de lipophobie, je pourrais vous entretenir longuement du statut de minorité très visible. On est toujours la minorité d’une majorité, quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise. Et changer les choses, ça commence d’abord par les nommer. Par admettre qu’elles existent. La question à 100 piasses est: en sommes-nous capables ?