lundi 23 juillet 2007

Dialogue au travers le gras

Ce texte a originalement été publié dans le journal Impact Campus (le journal des étudiants de l’Université Laval) le 26 novembre 1996. Plus d’actualité que ça…
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Avez-vous vécu l’expérience du Dialogue dans le noir ? Si oui, repensez-y, je vous reviens dans un instant. Sinon, voilà : présentée récemment par le Musée de l’humour, cette activité proposait de vous «enlever» la vue, pour ensuite vous faire passer une heure dans la peau d’un aveugle. Vous y êtes ? Bon. Je vous suggère aujourd’hui une expérience connexe : Dialogue au travers le gras. Il s’agit de vous donner une petite idée de la vie quotidienne d’une grosse (et par ailleurs gentille) fille.
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Commençons par le début. Quel que soit votre sexe, fermez-vous les yeux (en fait, lisez ce texte avant). Imaginez ensuite votre corps, et ajoutez-lui graduellement quelques pouces de graisse. Et tant qu’à y être, ne lésinez pas. Ne soyez pas que grassouillet, soyez carrément gros. Maintenant, mettez votre imagination en marche et essayez de prédire vos réactions dans les situations suivantes (je vous offre les miennes en prime !) :
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~ TVA, 18h30, chaque jour de la semaine, Piment Fort. Une bande de mongols à batteries rivalise d’imagination pour trouver des blagues supposément drôles au sujet d’une grosse quelconque. (Une chance pour eux que l’intelligence n’est pas proportionnelle au poids, hein ?)
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~ Fin de journée, un arrêt à l’épicerie. Première étape : le tourniquet. (M. le Fabricant, avez-vous un autre modèle que «client filiforme» ?) Deuxième : la caisse. (J’ai-tu le droit, bordel, de manger des chips sans sentir votre réprobation visuelle, Madame la Caissière ? Avez-vous l’impression que je suis devenue grosse en m’empiffrant de salade ?)
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~ Jeudi soir, entre copains, une soirée au cinéma : «Madame, pouvez-vous-tu t’asseoir au bout de la rangée, s’il-vous-plaît ?» (Coudon, tabarnak, veux-tu que je mette ma chaise de parterre dans l’allée, tant qu’à faire ?)
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~ À la radio : «Nouveau magasin Machin, nous avons des vêtements pour tous : homme, femme, fillette, garçon, détente, sport; on a même un département tailles fortes !» (Hon ! Que c’est don gentil ! Avez-vous aussi un département E.T. ?)
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~ Une fin de semaine magnifique dans un camping qui l’est tout autant, ma copine et moi s’ébrouons dans la piscine. Deux fillettes me regardent avec insistance, lorsque l’une dit à l’autre, très fort : «Eille, chècke la madame, est full grosse !» Et moi de lui rétorquer : «Sais-tu pourquoi est full grosse, la madame ? Parce qu’à mange des p’tites filles mal élevées comme toi… » Dois-je décrire les hurlements et la fuite des petites filles en question ?
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~ Vous ai-je parlé des innombrables gars qui m’ont dit : «Caro, j’t’aime comme amie», ou bedon le très original «Caro, si t’étais un gars, tu serais mon meilleur chum !»… (Le prochain qui me sort une affaire de même, je le trucide !)
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En avez-vous assez ? Moi oui ! Remarquez que d’être grosse n’a pas que des désavantages : le gars qui ose expérimenter sexuellement mon corps n’a pas peur de se crever un œil sur mes côtes. Trêve de plaisanterie, arrêtez-vous deux secondes à ceci : il n’y a pas de graisse dans mon cerveau, et mon état corporel n’affecte en rien mes facultés intellectuelles. Peut-être me croirez-vous paranoïaque, mais non. Je ne fais que constater (et déplorer) : la grosse d’aujourd’hui est condamnée à vivre dans une société atteinte de lipophobie aiguë. Et j’en ai ras-le-cul. À la taille qu’il a, ce n’est pas peu dire.
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Adipeusement vôtre.