Moé pis ma grand’yeule…
Avant-hier soir, j’ai profité de l’apparition hautement improbable du soleil après toute une journée de pluie, sur ma galerie, absorbée par La chute d’Hypérion, de Dan Simmons. À un moment, j’entends une femme crier «Hé, j’t’ai dit d’m’attendre là sans bouger, écouté-moé sinon j’te tappe les fesses !». Me lève les yeux de mon livre pour voir, dans le parc en face de chez-moi, une jeune femme, 23, 24 ans, tirant la main d’une toute petite fille, se dirigeant vers le p’tit gars après qui elle criait. Le p’tit gars qui, au fait, ne faisait que marcher sur le gazon, peut-être plus vite que sa mère ne l’aurait voulu, semble-t-il. Je rebaisse les yeux sur ma page, quand j’entends de nouveau crier «Héééé, j’viens d’te dire de m’attendre, côlisse, attends-moé ou bedon j’me choque !». Je relève les yeux, pour voir la mère arriver à la hauteur de son fils, lui attraper sauvagement le bras, le retourner tout droit dans ses shorts et se mettre à le secouer. En continuant à gueuler. Là, sincèrement, j’commence à pomper. Quand elle a levé la main sur lui pour lui foutre une taloche sur la joue, j’ai crié : «EILLLE !». La fille lève la tête, semblant tout juste remarquer qu’elle est dans un lieu public et non dans son salon à pouvoir tapocher son kid en toute intimité. Elle me fait un signe de menton voulant probablement dire «quesse tu veux, toé ?» et j’ajoute, un peu moins fort mais tout de même audible pour elle : «r’viens-en !». Elle reprend le pauvre ti-gars par le bras et l’entraîne d’où ils étaient venus, un logement dans le bloc devant chez-moi, où ils étaient en visite. Pendant ce temps, ma mère arrivait de sa marche quotidienne, et ses yeux me questionnaient déjà avant qu’elle ait eu le temps de monter sur ma galerie. Elle se tire une chaise à côté de la mienne et me demande, encore un peu essoufflée de sa marche rapide : «Qu’est-ce qui a là, donc ? Après qui tu cries d’même ?» Je lui explique qu’une estie d’folle gueulait après et frappait son enfant devant moi, et que je m’étais permis de manifester ma consternation.
- Ben voyons, c’pas d’tes affaires, mêles-toi pas de t’ça !
- C’pas d’mes affaires, un ti-cul qui s’fait taper dessus ??!?!
- Ben non, maudit, laisse faire ça, c’pas à toi, c’t’enfant-là !
- Franchement, Moman, t’entends-tu ?
- Je sais ben que c’est dégueulasse de frapper un enfant, mais tu vas avoir l’air fine si a vient t’voir pour te casser la gueule, la fille, ou bedon si son chum vient t’écoeurer jusque chez vous ? As-tu pensé à ça ?
- Ah bon ! Fait que si je te comprends bien, de crainte de représailles ou de conséquences fâcheuses, faut farmer sa gueule et détourner le regard devant des actes pareils, c’est ça ? Pis qu'à vienne, elle ou son chum, j'capable de m'défendre, moi, contrairement à c'te pauvre enfant !
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- Ben voyons, c’pas d’tes affaires, mêles-toi pas de t’ça !
- C’pas d’mes affaires, un ti-cul qui s’fait taper dessus ??!?!
- Ben non, maudit, laisse faire ça, c’pas à toi, c’t’enfant-là !
- Franchement, Moman, t’entends-tu ?
- Je sais ben que c’est dégueulasse de frapper un enfant, mais tu vas avoir l’air fine si a vient t’voir pour te casser la gueule, la fille, ou bedon si son chum vient t’écoeurer jusque chez vous ? As-tu pensé à ça ?
- Ah bon ! Fait que si je te comprends bien, de crainte de représailles ou de conséquences fâcheuses, faut farmer sa gueule et détourner le regard devant des actes pareils, c’est ça ? Pis qu'à vienne, elle ou son chum, j'capable de m'défendre, moi, contrairement à c'te pauvre enfant !
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Et ma mère qui hoche la tête, découragée, comme à chaque fois que sa fille pose de gestes ou émet des paroles qui lui semblent exagérés, hors de proportion, démesurés. Après 35 ans à me côtoyer, ma mère n’a pas encore accepté –mon père non plus, d’ailleurs-, la personnalité excessive qui est la mienne, et l’aspect entier de mon être qui font que même si je le voulais, J’POURRAIS PAS me taire. Comme souvent dans une telle situation, j’ai délibérément changé de sujet, sachant trop bien que la prochaine étape de la discussion ressemblerait à une litanie de reproches à peine camouflés sur ma personnalité un peu trop intense… pis ça m’tentait pas pantoute. J’ai trop entendu ce discours, et je leur ai trop répété que je ne faisais pas exprès d’être moi-même, que je n’avais pas choisi ce caractère qui est le mien, et que tout ce qui était en mon pouvoir, c’est de tenter par tous les moyens de devenir un meilleur être humain. J’ai préféré parler de la pluie et du beau temps, c’est moins prenant.
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Quelques heures plus tard, je feuilletais la revue Châtelaine de ce mois-ci. Lisant un article de Geneviève St-Germain, "Le mal ordinaire", je suis tombée sur des mots qui m’ont directement ramenée à ce que je venais de vivre sur ma galerie plus tôt dans la soirée. Je la cite :
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Qui d’entre nous ne s’est pas déjà crue forcée de fouler ses valeurs, d’ignorer l’injustice que subissait un employé ou de fermer les yeux et les oreilles devant un abus envers un membre de sa famille ? Combien de fois n’avons-nous pas cédé à la pression d’un groupe dont l’approbation est vitale pour notre image, même si cela entre en conflit avec nos convictions morales ? Il vous est sûrement arrivé de supporter en silence, de ne pas stopper net un petit comique qui débitait sa meilleure blague raciste ou ses commentaires sexistes. De détourner le regard quand un parent frappait son enfant en public. De ne pas contredire une opinion pourtant très contestable de vos collègues en réunion. D’endurer ou, pire encore, de faciliter les agissements d’un supérieur hiérarchique au comportement inadmissible. «C’est plus simple», «Ce n’est pas de mes affaires», «Je ne veux pas perdre ma job», «Qui suis-je pour intervenir ?», tels sont les arguments qui semblent faire consensus pour expliquer l’inertie..
Force est de l’admettre, ma mère a réagi comme la plupart des gens l’aurait fait : taisons-nous et évitons ainsi les problèmes. Sauf que moi, de me taire, il serait là, le fichu problème. Je suis radicalement incapable de me taire, même quand ma conscience me dicte de le faire. Je suis foncièrement dépourvue de cette caractéristique humaine qu’est l’auto-censure, ou plutôt le contrôle de soi. Il n’y a aucune espèce de barrière entre ce que je pense et ce que je dis, même que plus souvent qu’autrement, je dis bien avant d’avoir pensé. Se tourner la langue sept fois dans la bouche avant de parler est, en ce qui me concerne, une impossibilité technique. Ça m’aura valu bien des embarras tout au long de ma vie, et nul doute que cela m’en vaudra encore. Je le sais, et je ne me tais pas pour autant. Me museler, j’ai déjà essayé, et il appert que c’est le meilleur moyen pour me tuer. Je suis comme ça, moi, je parle comme je vis. Et le jour où je ne parlerai plus, vous saurez que je ne vis plus non plus.
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Je vous invite à aller lire en entier l’article de Geneviève St-Germain (dans le Châtelaine de ce mois-ci, en kiosque ou à votre bibliothèque), question d’alimenter la réflexion… et de continuer à parler ! :o)
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Quelques heures plus tard, je feuilletais la revue Châtelaine de ce mois-ci. Lisant un article de Geneviève St-Germain, "Le mal ordinaire", je suis tombée sur des mots qui m’ont directement ramenée à ce que je venais de vivre sur ma galerie plus tôt dans la soirée. Je la cite :
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Qui d’entre nous ne s’est pas déjà crue forcée de fouler ses valeurs, d’ignorer l’injustice que subissait un employé ou de fermer les yeux et les oreilles devant un abus envers un membre de sa famille ? Combien de fois n’avons-nous pas cédé à la pression d’un groupe dont l’approbation est vitale pour notre image, même si cela entre en conflit avec nos convictions morales ? Il vous est sûrement arrivé de supporter en silence, de ne pas stopper net un petit comique qui débitait sa meilleure blague raciste ou ses commentaires sexistes. De détourner le regard quand un parent frappait son enfant en public. De ne pas contredire une opinion pourtant très contestable de vos collègues en réunion. D’endurer ou, pire encore, de faciliter les agissements d’un supérieur hiérarchique au comportement inadmissible. «C’est plus simple», «Ce n’est pas de mes affaires», «Je ne veux pas perdre ma job», «Qui suis-je pour intervenir ?», tels sont les arguments qui semblent faire consensus pour expliquer l’inertie..
Force est de l’admettre, ma mère a réagi comme la plupart des gens l’aurait fait : taisons-nous et évitons ainsi les problèmes. Sauf que moi, de me taire, il serait là, le fichu problème. Je suis radicalement incapable de me taire, même quand ma conscience me dicte de le faire. Je suis foncièrement dépourvue de cette caractéristique humaine qu’est l’auto-censure, ou plutôt le contrôle de soi. Il n’y a aucune espèce de barrière entre ce que je pense et ce que je dis, même que plus souvent qu’autrement, je dis bien avant d’avoir pensé. Se tourner la langue sept fois dans la bouche avant de parler est, en ce qui me concerne, une impossibilité technique. Ça m’aura valu bien des embarras tout au long de ma vie, et nul doute que cela m’en vaudra encore. Je le sais, et je ne me tais pas pour autant. Me museler, j’ai déjà essayé, et il appert que c’est le meilleur moyen pour me tuer. Je suis comme ça, moi, je parle comme je vis. Et le jour où je ne parlerai plus, vous saurez que je ne vis plus non plus.
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Je vous invite à aller lire en entier l’article de Geneviève St-Germain (dans le Châtelaine de ce mois-ci, en kiosque ou à votre bibliothèque), question d’alimenter la réflexion… et de continuer à parler ! :o)