Sophie
Aujourd'hui dimanche, dernier jour de la Semaine de prévention du suicide. J’ai hésité toute la semaine à aborder ce sujet ô combien délicat. C’est finalement cette nuit, après avoir rêvé de Sophie, que j’ai compris. Compris que malgré le tabou de la mort en général, et celui du suicide en particulier, il faut oser… au moins oser y mettre des mots s’il est trop dur d’en parler, risquer quelques mots, ne serait-ce que du bout des doigts.
Jean Barbe a écrit : «Nous ne savons pas, et c’est précisément parce que nous ne savons pas que nous sommes frères et sœurs de celui qui s’est donné la mort : il ne devait pas savoir, lui non plus.» (Autour de Dédé Fortin, Leméac, 2001). À ce titre, et à plus d’un d’ailleurs, Sophie était ma sœur. Souvent, ses pétillants yeux bruns souriaient avant sa bouche, quelques micro-secondes avant, et sans s’en être aperçu, on souriait aussi, juste en même temps qu’elle…
Je vous épargne les clichés du genre «Elle avait tout pour être heureuse, elle était si belle, et si gentille, tout pour elle !» et autres lieux communs. Oh, pour être belle et gentille, elle l’était, mais pas plus que vous et moi Sophie n’avait tout pour être heureuse, pour la simple et bonne raison que d’être heureux ne vient pas de ce qu’on a, mais de ce qu’on est. Certains marchands de bonheur promettent un état permanent et totalement satisfaisant... personne n'est parfait et parfaitement heureux, tout l’temps. Sophie, si petite et mince était-elle, portait pourtant un monde sur ses épaules. Sophie était atteinte de culpabilitite aiguë : tout était de sa faute, surtout les moins belles affaires. Accumulation de culpabilités d’années en années, de jour en jour, jusqu’à celui où elle s’écroula. Tous, famille et amis, nous reprocherons toujours de n’avoir pas su la retenir, de n’avoir pu la dévier de la chute. Mais… un jour, comme ça, des années plus tard, la paix se fait, un peu, parce qu’on finit par admettre qu’on était impuissants. Que rien ni même personne n’aurait pu combler ce gouffre qui l’aspirait par en-d’dans. Que personne, vraiment personne, surtout pas elle, n’était responsable de la douleur qui devait finalement l’emporter. Personne.
Le suicide nous touche tous, chacun de nous a avec lui une relation plus ou moins intime : lui a souvent pensé à se tuer sans jamais oser, elle a un fils qui en est mort, cette autre, là, veuve prématurée d’un agriculteur qui était à bout de souffle, et lui, assis tout près de vous dans sa chaise roulante, qui a posé le geste mais qui a manqué sa shot, et un autre encore, qui se reprochera amèrement, longtemps, infiniment, de n’avoir pas su l’aimer comme elle en avait tant besoin. Et vous ? Quant à moi…je n’ai qu’une chose à en dire : un suicidaire ne veut pas vraiment mourir, mais bien cesser de souffrir.
Tous les jours je pense à Sophie, tous les jours depuis sept ans maintenant, en pensée je prends sa main, je lui souris et je lui répète que je l’aime. Ne jamais oublier Sophie, c’est encore le meilleur moyen de la garder en vie.
Jean Barbe a écrit : «Nous ne savons pas, et c’est précisément parce que nous ne savons pas que nous sommes frères et sœurs de celui qui s’est donné la mort : il ne devait pas savoir, lui non plus.» (Autour de Dédé Fortin, Leméac, 2001). À ce titre, et à plus d’un d’ailleurs, Sophie était ma sœur. Souvent, ses pétillants yeux bruns souriaient avant sa bouche, quelques micro-secondes avant, et sans s’en être aperçu, on souriait aussi, juste en même temps qu’elle…
Je vous épargne les clichés du genre «Elle avait tout pour être heureuse, elle était si belle, et si gentille, tout pour elle !» et autres lieux communs. Oh, pour être belle et gentille, elle l’était, mais pas plus que vous et moi Sophie n’avait tout pour être heureuse, pour la simple et bonne raison que d’être heureux ne vient pas de ce qu’on a, mais de ce qu’on est. Certains marchands de bonheur promettent un état permanent et totalement satisfaisant... personne n'est parfait et parfaitement heureux, tout l’temps. Sophie, si petite et mince était-elle, portait pourtant un monde sur ses épaules. Sophie était atteinte de culpabilitite aiguë : tout était de sa faute, surtout les moins belles affaires. Accumulation de culpabilités d’années en années, de jour en jour, jusqu’à celui où elle s’écroula. Tous, famille et amis, nous reprocherons toujours de n’avoir pas su la retenir, de n’avoir pu la dévier de la chute. Mais… un jour, comme ça, des années plus tard, la paix se fait, un peu, parce qu’on finit par admettre qu’on était impuissants. Que rien ni même personne n’aurait pu combler ce gouffre qui l’aspirait par en-d’dans. Que personne, vraiment personne, surtout pas elle, n’était responsable de la douleur qui devait finalement l’emporter. Personne.
Le suicide nous touche tous, chacun de nous a avec lui une relation plus ou moins intime : lui a souvent pensé à se tuer sans jamais oser, elle a un fils qui en est mort, cette autre, là, veuve prématurée d’un agriculteur qui était à bout de souffle, et lui, assis tout près de vous dans sa chaise roulante, qui a posé le geste mais qui a manqué sa shot, et un autre encore, qui se reprochera amèrement, longtemps, infiniment, de n’avoir pas su l’aimer comme elle en avait tant besoin. Et vous ? Quant à moi…je n’ai qu’une chose à en dire : un suicidaire ne veut pas vraiment mourir, mais bien cesser de souffrir.
Tous les jours je pense à Sophie, tous les jours depuis sept ans maintenant, en pensée je prends sa main, je lui souris et je lui répète que je l’aime. Ne jamais oublier Sophie, c’est encore le meilleur moyen de la garder en vie.