Mon projet de doctorat
À la demande générale de mon fan-club en délire (euh… disons à la demande récente de Renart), voici les détails de mon projet de doctorat en sciences des religions. Ce texte de présentation sommaire date de 2004, peu avant que la vie m’emmène complètement ailleurs. Je n’ai jamais repris mes études, pour moult raisons, mais mes observations et réflexions sur le thème du vedettariat n’ont jamais cessé, et ne cesseront probablement jamais. Enjoy ! :o)
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La relation entre le chanteur populaire québécois et ses fans : le pontife et ses fidèles ? Une perspective ethno-religiologique
Caroline Guay (tous droits réservés)
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En presque trente-trois ans d’existence, j’ai cru en Dieu… un peu plus de dix minutes. C’était le 6 juillet 2003, vers 22h30, au Centre Bell… un show de Peter Gabriel. Durant toute la pièce Signal to noise, j’ai eu les yeux fermés et la tête renversée vers le ciel (oui, je sais, drôle de posture pour assister à un spectacle). Pendant ces dix minutes que je qualifierais sans trop exagérer d’orgasmiques, j’ai eu la nette impression que je touchais, du bout des doigts, à quelque chose d’inexprimable, mais de résolument… divin. Sacré. Ce fut en ce qui me concerne une véritable expérience mystique –la première et la seule à ce jour. Bien des questions surgirent, après... Pourquoi tant de chanteurs se sont-ils sentis, à un moment ou à un autre de leur carrière, investis d’une mission divine ? Ou bien ont-ils cru que la suite immédiate du monde reposait sur leurs seules épaules ? Accès de mégalomanie aigüe ? Peut-être. Mais peut-être pas. Les fans les plus fans seraient eux-mêmes d’avis que «leur» chanteur est un dieu, et auront vraisemblablement tendance à le traiter comme tel. À force d’être pris pour des dieux, certains se sont peut-être fait prendre au jeu.
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En 2000, l’émission Enjeux (Radio-Canada) diffusait un fascinant reportage intitulé «Ces fans qui aiment trop», où l’on interviewait entre autres quelques personnes (surtout des femmes) profondément attachées à «leur» vedette. Une femme en particulier disait avoir tellement foi en Éric Lapointe que lorsque sa vie allait mal, elle fermait les yeux et demandait intensément au chanteur de l’aider. De la guider. En septembre 2004, le journal culturel Ici Montréal publiait, sous la plume du journaliste Claude André, un article aussi titré «Ces fans qui aiment trop» (décidément…). En fait d’article, il s’agissait plutôt d’un collage de témoignages de chanteurs à propos de leurs «groupies». Je m’étais posé la question en 2000, et je me la pose plus que jamais en 2004 : s’agirait-il d’amour, de «trop» d’amour (si tant est que cela soit possible), ou alors… de foi ? Se pourrait-il que pour certaines personnes la vedette fasse figure de dieu ? Il est indéniablement ardu de répondre à une telle question, et ce n’est pas pour rien que nombre d’auteurs se contentent de quelques analogies par-ci, par-là : démontrer qu’il y a une véritable homologie de structures entre la religion et le star-système est un pari difficile à tenir, et ce n’est pas faute d’y avoir longuement réfléchi. J’en suis arrivée à me dire que je ne me posais peut-être pas les bonnes questions, que je partais peut-être de postulats erronés… Si le chanteur n’était pas un dieu, mais plutôt un lien vers une force supérieure, vers ce «quelque chose de radicalement autre»(1), bref, un pont vers le sacré ?
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En partant de cette hypothèse, il m’a immédiatement semblé plus aisé de faire des rapprochements significatifs, que l’on pourrait résumer très succinctement ainsi : prêtre/chanteur, messe/spectacle, offrandes/cadeaux offerts par les fans, lecture de textes sacrés/écoute de disques… Prenons l’exemple de la prière. On s’adresse souvent aux chanteurs, qui sont somme toute des hommes ordinaires (des humains comme nous, en tous les cas), des demandes qui, elles, sont extraordinaires, dans le sens de «hors du commun» : de l’argent, des emplois, des coups de pouce (pushing) pour percer le milieu, voire de l’aide à la guérison physique… Toutes choses que d’autres demandent à Dieu, ou à la Vierge Marie, ou à un quelconque saint. Un autre exemple de rapprochement peut être visible dans cette anecdote : un homme appelé Louis Mathieu était à une certaine époque le gérant de tournée du groupe américain Red Hot Chili Peppers. Un soir, après un spectacle, deux jeunes femmes déambulent encore dans la salle vide plus d’une heure après la fin du spectacle, et croisant le gérant, lui demande s’il y a encore du matériel promotionnel à vendre, ou quelque chose d’intéressant pour les fans… Ce dernier répond : «Well, il y a là le slip qu’Anthony (le chanteur) a porté durant le show…». Les filles se sont littéralement jetées sur le bout de tissu, se battant presque pour se l’approprier, quand finalement l’une d’elles l’obtient enfin, le lève au-dessus de sa tête, le tord vigoureusement, et «boit» la sueur dégoulinant du sous-vêtement, et dit : «Là, je l’ai vraiment en moi, j’ai une partie de lui en moi !» Ça ne vous rappelle pas un certain rituel de la religion catholique, ça ? Mais au-delà de l’anecdotique, il y a là quelque chose à creuser, à explorer, à investiguer. Il s’agira de démontrer, par cette recherche, que les chanteurs populaires ne sont pas nos nouveaux dieux, mais bien nos nouveaux pontifes, ceux par qui nous pouvons espérer avoir accès au sacré.
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Pourquoi la chanson ? Et pourquoi les chanteurs et pas les chanteuses ? Dans le vaste domaine du vedettariat, où se côtoient nombre de sphères artistiques plus ou moins étanches les unes aux autres (2), il semble que la chanson soit un lieu particulièrement propice à l’échange, à cause entre autres de la chanson en tant que telle, mais aussi du spectacle. Cette communication, Gilles Vigneault la décrit éloquemment : «Quand on écrit des chansons, on écrit des chansons pour se nommer à l’autre, et un peu pour dire qu’on est vivant, qu’on ne veut pas mourir et qu’on veut que l’autre, nous ayant reconnu, nous nomme à son tour.» (3) Et pourquoi les chanteurs ? D’une part pour une raison… statistique. Un premier décompte (et encore, il n’est pas exhaustif) révèle qu’il existe au Québec pas moins de soixante (60) chanteurs actifs (lire ici membres de l’ADISQ), alors que l’on compte un peu plus de trente-cinq (35) chanteuses. D’autre part, il est un tantinet troublant de constater que les plus grandes légendes de l’histoire de la musique populaire sont, à quelques exceptions près, des hommes à la guitare : Elvis Presley, John Lennon, Bob Dylan, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Kurt Cobain… et à une échelle plus locale, Éric Lapointe, Roch Voisine, André «Dédé» Fortin, Jean Leloup… Finalement, on peut se demander –et c’est là une piste éventuelle à explorer- s’il n’y aurait pas un lien avec le fait que les pontifes des religions dites traditionnelles sont presque exclusivement des hommes.
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Après la lecture de plusieurs biographies de chanteurs mythiques, ainsi que le visionnement de nombreuses Musicographies, le pôle «chanteur» de la problématique est de mieux en mieux précisé; il semble même possible, à ce stade-ci de la recherche, d’identifier une forme de schéma de carrière que plusieurs artistes auraient en commun. Là où l’information se raréfie, c’est à propos des fans, spécifiquement. Oh, il y a bien dans les biographies quelques passages décrivant le comportement de fans hystériques ou de groupies compulsives (4), mais rien sur ce qui m’intéresse pour la validation de mon hypothèse de travail, c’est-à-dire le mode de fonctionnement d’une interdépendance précise –parce que bien sûr, sans public, le chanteur populaire n’existe pas. La prochaine étape de la recherche consistera donc à rencontrer individuellement une quantité suffisante de groupies pour arriver à en tracer un portrait réaliste, et pour mieux documenter cette relation spéciale. Il s’agira ensuite d’observer in situ cette relation, afin de parvenir à confirmer –ou infirmer- l’hypothèse de départ, soit que le star-système et la religion ont bien plus de points communs qu’on ne pourrait le croire, et qu’il existe véritablement là une homologie de structures.
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La relation entre le chanteur populaire québécois et ses fans : le pontife et ses fidèles ? Une perspective ethno-religiologique
Caroline Guay (tous droits réservés)
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En presque trente-trois ans d’existence, j’ai cru en Dieu… un peu plus de dix minutes. C’était le 6 juillet 2003, vers 22h30, au Centre Bell… un show de Peter Gabriel. Durant toute la pièce Signal to noise, j’ai eu les yeux fermés et la tête renversée vers le ciel (oui, je sais, drôle de posture pour assister à un spectacle). Pendant ces dix minutes que je qualifierais sans trop exagérer d’orgasmiques, j’ai eu la nette impression que je touchais, du bout des doigts, à quelque chose d’inexprimable, mais de résolument… divin. Sacré. Ce fut en ce qui me concerne une véritable expérience mystique –la première et la seule à ce jour. Bien des questions surgirent, après... Pourquoi tant de chanteurs se sont-ils sentis, à un moment ou à un autre de leur carrière, investis d’une mission divine ? Ou bien ont-ils cru que la suite immédiate du monde reposait sur leurs seules épaules ? Accès de mégalomanie aigüe ? Peut-être. Mais peut-être pas. Les fans les plus fans seraient eux-mêmes d’avis que «leur» chanteur est un dieu, et auront vraisemblablement tendance à le traiter comme tel. À force d’être pris pour des dieux, certains se sont peut-être fait prendre au jeu.
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En 2000, l’émission Enjeux (Radio-Canada) diffusait un fascinant reportage intitulé «Ces fans qui aiment trop», où l’on interviewait entre autres quelques personnes (surtout des femmes) profondément attachées à «leur» vedette. Une femme en particulier disait avoir tellement foi en Éric Lapointe que lorsque sa vie allait mal, elle fermait les yeux et demandait intensément au chanteur de l’aider. De la guider. En septembre 2004, le journal culturel Ici Montréal publiait, sous la plume du journaliste Claude André, un article aussi titré «Ces fans qui aiment trop» (décidément…). En fait d’article, il s’agissait plutôt d’un collage de témoignages de chanteurs à propos de leurs «groupies». Je m’étais posé la question en 2000, et je me la pose plus que jamais en 2004 : s’agirait-il d’amour, de «trop» d’amour (si tant est que cela soit possible), ou alors… de foi ? Se pourrait-il que pour certaines personnes la vedette fasse figure de dieu ? Il est indéniablement ardu de répondre à une telle question, et ce n’est pas pour rien que nombre d’auteurs se contentent de quelques analogies par-ci, par-là : démontrer qu’il y a une véritable homologie de structures entre la religion et le star-système est un pari difficile à tenir, et ce n’est pas faute d’y avoir longuement réfléchi. J’en suis arrivée à me dire que je ne me posais peut-être pas les bonnes questions, que je partais peut-être de postulats erronés… Si le chanteur n’était pas un dieu, mais plutôt un lien vers une force supérieure, vers ce «quelque chose de radicalement autre»(1), bref, un pont vers le sacré ?
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En partant de cette hypothèse, il m’a immédiatement semblé plus aisé de faire des rapprochements significatifs, que l’on pourrait résumer très succinctement ainsi : prêtre/chanteur, messe/spectacle, offrandes/cadeaux offerts par les fans, lecture de textes sacrés/écoute de disques… Prenons l’exemple de la prière. On s’adresse souvent aux chanteurs, qui sont somme toute des hommes ordinaires (des humains comme nous, en tous les cas), des demandes qui, elles, sont extraordinaires, dans le sens de «hors du commun» : de l’argent, des emplois, des coups de pouce (pushing) pour percer le milieu, voire de l’aide à la guérison physique… Toutes choses que d’autres demandent à Dieu, ou à la Vierge Marie, ou à un quelconque saint. Un autre exemple de rapprochement peut être visible dans cette anecdote : un homme appelé Louis Mathieu était à une certaine époque le gérant de tournée du groupe américain Red Hot Chili Peppers. Un soir, après un spectacle, deux jeunes femmes déambulent encore dans la salle vide plus d’une heure après la fin du spectacle, et croisant le gérant, lui demande s’il y a encore du matériel promotionnel à vendre, ou quelque chose d’intéressant pour les fans… Ce dernier répond : «Well, il y a là le slip qu’Anthony (le chanteur) a porté durant le show…». Les filles se sont littéralement jetées sur le bout de tissu, se battant presque pour se l’approprier, quand finalement l’une d’elles l’obtient enfin, le lève au-dessus de sa tête, le tord vigoureusement, et «boit» la sueur dégoulinant du sous-vêtement, et dit : «Là, je l’ai vraiment en moi, j’ai une partie de lui en moi !» Ça ne vous rappelle pas un certain rituel de la religion catholique, ça ? Mais au-delà de l’anecdotique, il y a là quelque chose à creuser, à explorer, à investiguer. Il s’agira de démontrer, par cette recherche, que les chanteurs populaires ne sont pas nos nouveaux dieux, mais bien nos nouveaux pontifes, ceux par qui nous pouvons espérer avoir accès au sacré.
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Pourquoi la chanson ? Et pourquoi les chanteurs et pas les chanteuses ? Dans le vaste domaine du vedettariat, où se côtoient nombre de sphères artistiques plus ou moins étanches les unes aux autres (2), il semble que la chanson soit un lieu particulièrement propice à l’échange, à cause entre autres de la chanson en tant que telle, mais aussi du spectacle. Cette communication, Gilles Vigneault la décrit éloquemment : «Quand on écrit des chansons, on écrit des chansons pour se nommer à l’autre, et un peu pour dire qu’on est vivant, qu’on ne veut pas mourir et qu’on veut que l’autre, nous ayant reconnu, nous nomme à son tour.» (3) Et pourquoi les chanteurs ? D’une part pour une raison… statistique. Un premier décompte (et encore, il n’est pas exhaustif) révèle qu’il existe au Québec pas moins de soixante (60) chanteurs actifs (lire ici membres de l’ADISQ), alors que l’on compte un peu plus de trente-cinq (35) chanteuses. D’autre part, il est un tantinet troublant de constater que les plus grandes légendes de l’histoire de la musique populaire sont, à quelques exceptions près, des hommes à la guitare : Elvis Presley, John Lennon, Bob Dylan, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Kurt Cobain… et à une échelle plus locale, Éric Lapointe, Roch Voisine, André «Dédé» Fortin, Jean Leloup… Finalement, on peut se demander –et c’est là une piste éventuelle à explorer- s’il n’y aurait pas un lien avec le fait que les pontifes des religions dites traditionnelles sont presque exclusivement des hommes.
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Après la lecture de plusieurs biographies de chanteurs mythiques, ainsi que le visionnement de nombreuses Musicographies, le pôle «chanteur» de la problématique est de mieux en mieux précisé; il semble même possible, à ce stade-ci de la recherche, d’identifier une forme de schéma de carrière que plusieurs artistes auraient en commun. Là où l’information se raréfie, c’est à propos des fans, spécifiquement. Oh, il y a bien dans les biographies quelques passages décrivant le comportement de fans hystériques ou de groupies compulsives (4), mais rien sur ce qui m’intéresse pour la validation de mon hypothèse de travail, c’est-à-dire le mode de fonctionnement d’une interdépendance précise –parce que bien sûr, sans public, le chanteur populaire n’existe pas. La prochaine étape de la recherche consistera donc à rencontrer individuellement une quantité suffisante de groupies pour arriver à en tracer un portrait réaliste, et pour mieux documenter cette relation spéciale. Il s’agira ensuite d’observer in situ cette relation, afin de parvenir à confirmer –ou infirmer- l’hypothèse de départ, soit que le star-système et la religion ont bien plus de points communs qu’on ne pourrait le croire, et qu’il existe véritablement là une homologie de structures.
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(1) Guy Ménard, Petit traité de la vraie religion; à l’usage de ceux et celles qui souhaitent mieux comprendre le XXIe siècle, Montréal, Liber, 1999. On peut se procurer cet inspirant bouquin ici.
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(2) Il n’est pas rare, en effet, de voir un humoriste devenir animateur ou chanteur, ou encore un chanteur devenir comédien, voire un lecteur de nouvelles devenir humoriste…
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(1) Guy Ménard, Petit traité de la vraie religion; à l’usage de ceux et celles qui souhaitent mieux comprendre le XXIe siècle, Montréal, Liber, 1999. On peut se procurer cet inspirant bouquin ici.
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(2) Il n’est pas rare, en effet, de voir un humoriste devenir animateur ou chanteur, ou encore un chanteur devenir comédien, voire un lecteur de nouvelles devenir humoriste…
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(3) Gilles Vigneault et Luc Lacoursière, La chanson comme miroir de poche, Outremont, Lanctôt, 2000, p. 38.
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(4) Il est à noter qu’il faudra établir une terminologie plus adéquate pour la suite des choses. Le mot «fan» est trop général en regard du comportement… «dévot» que je cherche à mettre en lumière; le terme «groupie», quant à lui, a une connotation péjorative évidente, sans compter qu’en anglais, il désigne plutôt les femmes qui couchent systématiquement avec les chanteurs et musiciens.