samedi 7 mars 2009

Non, mais...

Ouhlà. Je viens de lire un texte d’une prétention telle que les doigts se sont mis à me démanger. Plus précisément, un texte du chanteur Richard Petit dans le "Visites libres" de Dutrizac, dans le Châtelaine de ce mois-ci. Pour faire bref, le chanteur se plaint que les vendeurs de magasins de disques n’aient pas pris la peine d’écouter son dernier disque, alors qu’ils avaient pourtant été prévenus de la visite du chanteur dans leurs magasins. Il en conclut illico que les vendeurs de disques ne font pas leur jobbe, que c’est pour ça, et juste pour ça, que les ventes de disques compacts dépérissent. Il propose même d’amener le dit vendeur dans le box des accusés. Je le cite :
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- Procureur : Vendeur ! (majoritairement âgé de 20 à 25 ans) Quelle a été votre démarche pour obtenir cet emploi ?
- Vendeur : Ben, j’ai déposé un C.V.
- Ensuite ?
- Ils m’ont appelé, pis ils m’ont engagé. Ils m’ont montré où était le
backstore.
- Et votre formation musicale ?
- Ma quoi ?
- Euh… votre formation en vente ?
- On ne m’a jamais demandé de vendre des disques. On me demande de les classer par ordre alphabétique.
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Ça m’a rappelé un souvenir de ma lointaine jeunesse, quand j’étais assistante-gérante chez Discus. Un superviseur nous a téléphoné, un matin, pour nous annoncer la visite, dans la journée, de la chanteuse Kathleen. Bien, très bien, mais... personne ne s’est mis à sauter de joie dans le magasin. Elle veut faire de la promo ? Grand bien lui en fasse, ça fait partie de son travail. Est-ce qu’on est pour autant obligés d’avoir le goût de la voir ? J’pense pas. Est-ce qu’on est obligés pour autant d’écouter son disque en s’extasiant ? J’pense pas non plus. Anyway, je savais, sans l’ombre d’un doute (ni d’ailleurs l’ombre d’un début de remord) que je n’avais pas besoin d’écouter son disque pour savoir que c’était nul à chier. La voilà-ti pas qui se pointe, en fin d’après-midi, accompagnée de son gérant, distribuant sourires forcés sur sourires obligés, cherchant son disque des yeux. Quand la boudinée blondinette s’est offusquée, ses petites mains sur ses petites hanches, que son récent album se retrouve à la dernière rangée du présentoir mural, celle du bas, presque sur le plancher… je lui ai parlé franchement : si sa galette était encore là, c’était parce qu’il n’entrait pas assez de nouveautés francophones pour qu’on doive faire un roulement suffisant. Autrement dit, à la prochaine fournée d’albums francophones, le sien se retrouverait avec ses autres compagnons, en section. Je me suis permis d’ajouter, savourant son air scandalisé, qu’on aurait beau en tapisser les murs, voire tout le comptoir, on n’en vendrait pas plus, de ses disques. Quand le monde ne veut pas de quelque chose, on aura beau inventer mille stratagèmes de "facing", on aura beau avoir trois diplômes de vente 101, le monde n’en voudra pas plus. Le contraire est tout aussi vrai, d’ailleurs : quand la masse se met à tripper sur quelque chose, le quelque chose en question aura beau se trouver au fin fond du backstore dans une boîte barrée à double tour… on en vendrait pareil. J’ai en tête deux exemples frappants de cette époque : les albums Double de Roch Voisine et Alors regarde, de Patrick Bruel. De semaine en semaine, de commandes à peine ouvertes en bacs vides, on en vendait, on en vendait, et on en vendait. Pourtant, ni Roch ni Patrick n’ont fait le tour des centres d’achats pour mousser leurs produits, et aucune mise en place particulière ni publicité dans le magasin n’influençaient le consommateur. Et aucun vendeur ne parlait du produit, ni le vantait. Non. Pourtant, on en vendait. Et des tonnes, encore.
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Est-ce qu’Éric Lapointe a besoin de faire son frustré (et d’insulter des gens qui ne font ni plus ni moins que leur travail) dans une revue pour vendre des disques ? Est-ce le fait que l’éventuel vendeur (si c’était moi, par exemple) trouve le même Éric nul à chier des bulles l’empêche de vendre des milliers de disques ? Ou bien… est-ce que Marie-Chantal Toupin doit exhorter ses fans, sur son site internet, à appeler les stations de radio pour demander ses tounes ? Ou bien… est-ce que les Cowboys Fringants font un blast de marde aux Français qui ont downloadé leur musique et qui maintenant remplissent leurs salles (et achètent leurs disques), en France ? Non, non, non et non. Conclusion ? Si les consommateurs te veulent, ils savent où te trouver. Et pis le pire, c'est que ce n'est même pas une question de talent, c’est juste une question d’être le buzz dont les gens ont envie, à ce moment précis. C’est juste une question de toucher les auditeurs exactement où ils ont envie d’être touchés.
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Revenons aux vendeurs de magasins de disques… (Au fait, j’espère que Richard Petit est conscient qu'après cette petite crise de veudette, son chien est mort avec les dits vendeurs de disques ? B-r-a-v-o). Personnellement, je ne m’attends pas d’un vendeur de magasin de disques qu’il ait une formation musicale poussée. Ni, surtout, qu’il essaie de me fourguer n’importe quoi sous prétexte qu’il aime ça (chacun ses goûts) ou pire, parce que c’est québécois. Ce à quoi je m’attends (et que, faut-il le dire, je n’ai pas, plus souvent qu’autrement, ni là ni ailleurs), c’est un service courtois et de qualité, tant si j’ai des questions à poser qu’à l’heure de passer une commande spéciale ou encore à la caisse. Avoir une formation musicale et connaître la musique sont deux choses différentes. Et puis de toute façon, une opinion ça reste une opinion. Un vendeur, si motivé et convaincu soit-il, n’arrivera jamais à me vendre un disque de Richard Petit. Ou de Boom Desjardins. Ou de Martin Deschamps. Ou de Marie-Mai. Over my fucking dead body. Et, n’en déplaise à certains, je ne suis pas la seule. On est une bonne gang, en effet, à posséder un minimum de sens critique, ce qui nous évite entre autres de succomber à la vente à pression, que le vendeur soit à commission ou non. Les autres, ben… ils sont trop occupés avec Star Épidémie.